L’historique :
Jean-Philippe Gomez, un des compères du collectif PiedNu, récupère un cadre de piano et, entre deux répétitions de Nozal 3 et des Belles Bêtes Underground, procède à une restauration impeccable.
Emmanuel Lalande, armé de son fer à souder et de quelques tournevis, commence par opérer un pianet T de récupération. Ni pianiste, ni claviériste, il pratique l’ablation des touches, et remplace ces organes dédiés, prévisibles, par quelques objets choisis – ressorts, capteurs, plaques… – autour de la nouvelle aire de jeu que constitue la caisse en bois de l’instrument.
Il remarque que Jean-Paul Buisson pratique de plus en plus fréquemment le piano la tête sous le capot et les doigts dans la mécanique. Il lui propose alors ce duo insolite de claviers sans clavier.
Quelques répétitions en septembre 2008, un premier concert à l’occasion de l’inauguration des nouveaux locaux de PiedNu, puis, entre janvier et mars 2009, plusieurs rencontres où le duo joue pour lui-même, expérimente, enregistre à seule fin d’analyse.


Et, le 12 mars 2009, un concert enregistré en présence de quelques amis.

 

La démarche :
Emmanuel Lalande et Jean-Paul Buisson aiment marauder sans passeport sur les frontières finissantes de l’instrumental, de l’électroacoustique, du concret, du bruitiste, de l’acousmatique…, piller de petits bouts de credo dans les chapelles obsolètes du classique, du contemporain, du modal, du savant, du populaire, du sériel, du tonal…, s’amuser avec le suranné intrinsèque à toute mode, la désuétude que porte toute tendance, la péremption annoncée de toute école.
Pas de langage, pas de discours. Et s’ils se passionnent pour tous les débats théoriques et philosophiques autour de la musique, du son, de l’esthétique, du style, de l’œuvre, du rapport à la science…, ils estiment trouver leur juste place là où le jeu marginalise l’enjeu.
Et quand se présenteront d’autres artistes – musiciens, danseurs, plasticiens, comédiens – ils se joindront au duo le temps d’une représentation, d’une improvisation, car existait dès l’origine la volonté de proposer une forme ouverte et offerte

La référence
Expéditions opiniâtres, balades au hasard des sons ; expérimenter des sensations, jouer à jouer, dessiner une partition droite et désolée comme un jardin à la française pour mieux y accueillir la fleur imprévisible, la naissance d’un ru, le fouillis d’herbes folles, la pousse sauvage, héroïque…
S’il en faut une, qu’elle renvoie à un type de comportement humain :
« Peut-être nous faudrait-il partir pour la plus courte promenade dans un esprit d’immortelle aventure… »
« Les paysagistes plantent des personnages pour indiquer une route. Ce n’est pas mon personnage qu’ils planteraient ainsi. Cette nature dans laquelle je m’enfonce lorsque je vais me promener, c’est celle que parcouraient les anciens prophètes et poètes, Menou, Moïse, Homère, Chaucer. Appelez-la, si vous voulez, Amérique, mais ce n’est pas l’Amérique : ni Americ Vespuce, ni Colomb ni les autres n’en furent les découvreurs. »
« Un peuple qui commencerait par brûler les clôtures et respecter les forêts ! J’ai aperçu les clôtures mi-consumées, leurs bouts jetés à travers les prés, et quelque grigou d’ici-bas qui, accompagné d’un arpenteur, tâchait de retrouver ses bornes ; pendant que les cieux s’étaient installés autour de lui, il ne voyait pas aller et venir les anges, mais cherchait un ancien trou de piquet au beau milieu du paradis. En regardant de nouveau je le vis debout au centre d’un marécage boueux, stygien, entouré de diables ; il avait retrouvé ses bornes sans doute, trois petites pierres, où on avait enfoncé un piquet et, en regardant de plus près, je vis que son géomètre c’était le Prince des Ténèbres. »
(Extraits de « Walking », d’ Henry David Thoreau, plus connu en tant qu’auteur-résistant de « Civil Disobedience » et des textes anti-esclavagistes consacrés à John Brown, ou en tant qu’auteur-écologiste précurseur de « Walden »)