ImproJazz
Un premier morceau à la manière des œuvres orchestrales dodécaphoniques de la moitié du précédente siècle, pleines de soupirs, de clusters, de glissements sonores, tout à la joie d'explorer les voies ouvertes. L'impro y glisse ses fantaisies, décisions et coups de tête qui troublent l'ordre esthétique. Le second se pose avec une douceur spectrale, voiles entrouverts, échos inaperçus, guet d'une apparition qui fait faute, avant une rupture, coups et brutalité. Comme en musique contemporaine ou dans des musiques plus populaires, le passage n'est jamais clos en totalité entre le son et ses évocations, par analogie ou dans un processus imaginaire. On imagine la musique s'animer de sentiments et d'histoires, des raclements de cordes semblent ici lourds de regrets.
Le troisième morceau a toute la noblesse d'un solo de violon et reçoit par grâce les échos et les harmoniques que le genre demande à la virtuosité de l'exécutant. Puis il entre dans une caverne résonnante, bruissante, et nous offre un tour de manège à l'envers du miroir, révélant chocs et heurts avant leur résolution extérieure. Au final, réémergence d'un souffle léger des cordes. Les deux musiciens apportent aux musiques contemporaines la création sur l'instant, l'absence de hiérarchisation de joueurs dont rien n'est a priori attendu, et l'usage d'objets musicaux prélevés par les musiciens dans leur environnement. En une trentaine de minutes, Jean-Paul Buisson et Emmanuel Lalande font le tour momentané de leur question — un legs sonore d'une grande discrétion, l'émergence d'une œuvre faite, avant de passer à la suivante.

Noël Tachet

 

Sur un cadre de piano acoustique et un pianet T électronique entièrement désossé, Jean-Paul Buisson & Emmanuel Lalande se livrent à un jeu de questions et de réponses où la tragédie même du Monde semble au cœur du débat. La matière métallique ferraille, gémit, s'enfle et vrombit sous les coups et caresses des deux improvisateurs au toucher immédiat dont l'expressionnisme soulève la poussière du désert ou suit le cours affolé des torrents. Nous sommes très loin, ici, d'un minimalisme poli. Les échanges, brutaux ou tendres, ne sont jamais vains, comme en atteste d'ailleurs la concision de l'album. Dans ce très bel enregistrement, le choix de l'essentiel s'est imposé de lui-même et cette apparente aridité nous le rend plus proche encore en ces temps où l'image est devenue plus importante que le message.
Un disque comme une parole prise par deux artistes conscients de leur présence au Monde.

Joël Pagier